Contribution au débat sur "l'identité française", en réponse au bouquet d'articles du journal "Le Monde" sur la question.


Comment peut-on être Française ?


 


Une colère de plus en plus intense est en train de me prendre à propos des débats actuels sur "l'identité française". Colère non pas contre Nicolas Sarkozy (pour lequel je n'ai pas voté), ni contre Eric Besson (qui suit la voie politique de nombreux ex-socialistes parmi lesquels j'ai des amies et des amis), ni sur l'opportunité ou inopportunité du débat, mais contre le discours angélique - oui, angélique: les anges n'ont pas de sexe, n'est-ce pas ? - qui est tenu à ce propos. "Etre Français" : dans l'usage hexagonal actuel c'est le parler dit  "neutre", comme celui des Droits de "l'Homme". Dans "l'identité française", "la nationalité française", "la citoyenneté française", "française" sans majuscule est la forme reléguée au rang adjectif : en grammaire adjectif signifie "mot adjoint". Où sont les Françaises ?


Il n'y en a pas dans l'ensemble de la presse française sur le sujet. Il n'y en a aucune en tout cas dans "Le monde de l'Education" du 16 décembre 2009 qui titre en manchette : "La fabrique des Français".


Les articles sur le sujet sont signés Christian Bonrepos,  Luc Cédelle, Benoît Floc'h, Marc Dupuis:excellents journalistes par définition puisqu'ils paraissent dans "Le Monde". Pourquoi aucune journaliste ? le sujet n'intéresse-t-il pas les femmes ? ou bien toute journaliste quelle qu'elle soit ressent-elle comme une incertitude sur ce qu'est un "Français" ? une gêne pour parler des "Françaises" ? Dans les articles en question (pp.5-6-7-8), fort intéressants par ailleurs, on relève entre autres, hors quelques "françaises" toujours adjectives et quelques "nos ancêtres les Gaulois" traditionnels  :


- "ce goût des Français pour le débat" - "Ces Français, ils n'en ratent pas une" - "le copain des petits blancs" - "des enseignants formidables" -  "La fabrique du citoyen" - " Ce qui est mis en avant, c'est la France, pas les Français" - "les instituteurs" - "les grands héros" - "La fabrique de 'petits Français' " - "les enseignants" - "qu'est-ce qu'être français ?" - "Les Français aiment les ragots" - "Le Français est organisé" - "Les Français ne sont pas tous blancs" - "Liberté, Egalité, Fraternité, c'est ça, 'être français' " - "Quand on habite en France, on n'est pas forcément français ?" - "Le quart des Français a un parent d'origine étrangère"...


Cela me rappelle un concours organisé il y a quelques années dans le journal "La République des Pyrénées" demandant ce qu'était "un Béarnais". Le journaliste s'étonnait naïvement aux résultats de ce que personne n'avait pensé aux Béarnaises.


Y a-t-il des femmes dans le débat sur "l'identité nationale ? et dans le dossier du "Monde" consacré au sujet ? aucune "Française", mais, et toujours au singulier et nommément individualisée, une "députée européenne", "une directrice d'école primaire", une "historienne". La rédaction des articles obéit aux canons actuels : toute généralisation est au masculin, et, au détour d'un exemple, surgit une femme individualisée. Une seule exception au pluriel, représentative de tout ce qui est passé sous silence par l'absence des "Françaises" :


- "Pour les gamines d'origine turque que j'avais en ZEP, l'école était un lieu de liberté. La famille, la Turquie, cela signifiait pour elles, s'occuper des petits, porter le voile et aller à la mosquée".(p.8, col.1)


 


Dans l'usage actuel "les Français" en question sont donc, tout au moins je l'espère, non pas quelque trente millions de machos comme l'étaient les rédacteurs des Droits dits de l'Homme de la Révolution française, mais un ensemble d'individualités humaines sans sexe : qu'est-ce qu'une individualité humaine sans sexe ? Quittons un abstrait qui relève autant du mythe que nos ancêtres les Gaulois et passons au concret. Je concrétise : suis-je "Français" ? On me dit de sexe féminin, je suis mariée et mère et grand-mère, je porte le patronyme de mon mari comme le faisaient toutes les femmes il y a cinquante ans, il signifie "trésorier" ou "ministre des finances", ce qu'étaient les ancêtres de mon mari du temps des deys et des beys, conquérants de l'Algérie avant la conquête française, citoyens français dès les premiers temps de celle-ci. Née en France, mon nom de naissance est Wozniak qui signifie Charretier, brave nom de métier comme les Fournier ou autres Boulanger, nom de mon père "Mort pour la France" en déportation en 1944 pour avoir, comme ses collègues du consulat de Pologne, travaillé, parmi d'autres activités de résistance, à la confection de faux passeports pour leurs compatriotes juifs fuyant les nazis. Cela me fait-il plus "Française" ? ce ne sont que des circonstances, mais cela me donne une perspective sur ce qu'est être Française que n'ont peut-être pas les Françaises dites de souche, "francocentriques", sur la chance qu'elles ont.


Qu'est-ce qu' être Française ? C'est pour commencer avoir les mêmes droits qu'un Français. C'est dit du bout des lèvres en deux mots dans la Constitution française :


"La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives." (Constitution française - Titre 1 - Art. 3)


puis tout le reste du texte, jusqu'au bout, ne parle que de personnages au masculin. Il en est de même, il est vrai, de tel ou tel texte de syndicats d' "enseignants" où les enseignantes constituent les trois-quarts du personnel, ou de tel ou tel groupement d' "infirmiers".  Il est de bon ton en France de railler les "Françaises, Français" de de Gaulle : les Françaises ont peur du féminin. Elles ont pourtant une langue où le féminin a toute sa place à égalité avec le masculin : que l'on compare nos directeur/directrice, formes régulières, au polonais dyrektor/dyrektorka qui, traduit mot à mot, donne directeur/directorette, parce que le féminin polonais est un diminutif.


L'égalité de droit est-elle acquise en France ? oui, dans sa rédaction généralisante au masculin, tout texte législatif, tout jugement, tout acte officiel respecte cependant le principe. L'est-elle dans les faits? Non : la proportion des femmes est toujours minoritaire si ce n'est nulle aux postes-clés politiques, administratifs et économiques. Que l'on me rappelle combien de femmes sont tuées chaque année en France par leur conjoint. On apprend avec stupeur que si les insultes racistes sont passibles du Code pénal, l'apologie de la torture et du meurtre de femme par un certain chanteur actuel relèveraient, quant à elles, de l'art, et enthousiasmeraient une part de la jeunesse française. Si nous continuons à parler au seul masculin, et surtout nous qui atteignons un grand lectorat, ou, pour les enseignants et les enseignantes, un grand auditoire, nous perpétuons les mentalités archaïques.


 


Jeanne d'Arc et La République française sous les traits de Marianne sont les masques sous lesquels se cache le profond androcentrisme des Français, quelque trente millions d'hommes. Androcentrisme: vision masculine du monde, terme que je préfère et de beaucoup à l'indécente "phallocratie" avancée parfois, parce que j'aime les hommes avec leurs qualités et leurs défauts - androcentrisme et donc discours au masculin sur le monde, intériorisé par quelque trente millions de Françaises, qu'illustre de même la majuscule de l' "Homme", censée dissimuler son sexe. Etre "Française" ? oui, je le suis et j'en suis heureuse, tout autant que des origines polonaises de ma famille et ottomanes de la lignée masculine - française - de mon mari. Je suis Française et bien dans ma peau, malgré l'androcentrisme ambiant, parce que la France est un pays de liberté où je peux dire ce que je pense et chercher ce qui m'intéresse, parce que je peux travailler à la parité, et parce que la langue française, au contraire de l'anglais asexué, donne la liberté aux femmes d'apparaître tout au long de ses discours quand elles sont des femmes fières. Terminons sur un cocorico féminisé : vivent les Françaises ! vivent les Français ! - avec leurs qualités et leurs défauts...