LE NOM DE LA FEMME


Titre III - Chap.1 - Par.C -

 



 


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  C/ ACTUALITE DU CONDITIONNEMENT


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  1 / Le masculin non-marqué ou le vide initial.


     Nous sommes ainsi imprégnés dès l'enfance par la mise en condition de notre raisonnement sur le genre : il ne fonctionne que dans un sens , à partir d'un point de déclenchement unique, un postulat non vérifié érigé en axiome , celui du masculin premier appelé aujourd'hui le masculin non-marqué. Le mot "marque", que l'on peut définir comme "signe chargé en tant que tel d'une signification, qui est  l'appartenance à un propriétaire, à un groupe " (marque à son linge, marque commerciale...) n'est pas un terme autonome, une "marque" est toujours la marque de quelque chose. Parler de marque en matière de genre, c'est parler de marque du genre ; à supposer que le -e soit la marque du genre féminin en général ( nous avons vu que ce n'était pas le cas), dire "le féminin est le genre marqué" c'est dire "le féminin est le genre marqué en genre" et la formule "masculin non-marqué" est une formule elliptique, omettant le complément qui la détermine : "genre non marqué en genre" , soit "genre ne portant pas de marque du genre" ,"genre ne portant pas le signe distinctif d'appartenance à la catégotrie du genre". Si le masculin  ne porte pas de "marque" , de marque du genre, ou de marque permettant de le reconnaître comme masculin,  c'est qu'il n'appartient pas au groupe nommé "genre" ou qu'en tout cas on ne sait pas s'il appartient à ce groupe, et tout le discours actuel se développe inconsciemment sur cette aporie, ou si l'on veut sur un vide : le signe linguistique nommé "masculin" n'a pas de rapport matériel avec le genre, la dénomination masculine ne possède pas de signe linguistique permettant de l'identifier comme telle.


       On peut interpréter l'utilisation du procédé de la répétition systématique comme unique procédé de justification de la primauté du masculin dans les grammaires, l'attribution du statut lexical au seul masculin dans les dictionnaires, comme un phénomène de compensation inconscient cherchant à renforcer par tous les moyens l'importance de la dénomination masculine et de l'être masculin par voie de conséquence, comme nous l'avons vu dans les affleurements d'irrationalité des définitions lexicographiques, en raison de ce vide logique, qui correspond à l'incertitude sur ce qu'est l'identité masculine, EHM ou EH complet.


       En fait il y a  maldonne: c'est le gonflement abusif du masculin, résultat d'efforts empiriques séculaires, qui conduit  à  vider partiellement ce même masculin de sa valeur sexuelle, comme nous le reverrons, effet pervers entrevu  par certaines grammaires ("genre indifférencié" - Wagner-Pinchon). Or la réalité est manifeste, l'identité masculine n'est pas l'identité féminine, la langue française distingue la dénomination masculine et la dénomination féminine, il y a bien alternance morphologique pour désigner soit une femme soit un homme; et donc, dans notre système toujours androcratique, le besoin irrépressible de dénomination propre que ressent l'EHM continue toujours aujourd'hui à pousser , pour dépasser l'incertitude identitaire initiale refoulée et la méprise métalinguistique en forme de non-sens, à l'affirmation hautement répétée de la supériorité de ce qui continue à être appelé "masculin" bien que ne portant pas prétendument de signe marquant que c'est un masculin.


       Charles Bally parlait des "aspects pathologiques de la flexion", c'est dans cette confusion métalinguistique initiale que la "pathologie" du genre dont nous étudierons des manifestations en discours plus loin ne peut que prendre source. Pour l'instant ce que nous examinerons ce sont certaines de ces affirmations hautement répétées récentes pour y constater  ce qui transparaît de leur caractère émotionnel. Mais d'abord revoyons quelques positions sur la question de l'idéologie en matière de genre.        


     


 2 / La charge idéologique constatée par les chercheurs.


     Elle est évidente à quiconque met sous observation le discours normatif des grammaires et des dictionnaires: nous avons vu Jean-Claude Chevalier analyser la lente progression de la réflexion sur la notion de complément entravée par la pesanteur des pratiques scolaires,  Jean Dubois, auteur du DFC, déclarer comment un dictionnaire renforce l'idéologie dominante. Une riche bibliographie traite de la question et je citerai encore J.P.Caput qui étudie la "Naissance et évolution de la notion de norme en français" ("Langages" n°16) à partir des intentions politiques de la royauté ; Louis Guilbert démontrant que la norme lexicale est essentiellement de caractère social et idéologique, dans "Grammaire générative et néologie lexicale" ("Langages" n°36) ; B.Gardin qui voit la norme sociale intégrée dans la langue, celle-ci relevant autant du système linguistique que de la norme sociale ("La néologie, aspects socio-linguistiques" "Langages" n°36); Alain Rey dans la recherche de ce que peut être une "norme objective"("Langue Française" n°16).


      Plus proche de mes préoccupations pédagogiques, André Chervel dans son "Histoire de la grammaire scolaire" ("...et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français.") montre la grammaire comme un "catéchisme linguistique auquel l'esprit de l'enfant n'est évidemment pas préparé à résister" (p.27)."Cette logique interne du discours grammatical, dit-il (p.59-60), lui donne souvent une allure fastidieuse. Elle oblige ainsi le grammairien, après avoir annoncé que le féminin de l'adjectif se forme en ajoutant un e, à signaler que le féminin de "beau" est "belle", et celui de "blanc", "blanche" ! L'information apportée à l'élève est évidemment nulle." L'accord du participe passé a été "une affaire lucrative" en raison de la floraison d'ouvrages sur le sujet (p.112). D'une manière générale la fonction socio-culturelle de la grammaire scolaire est une fonction de standardisation par l'exigence d'une soumission à une règle unique pour tous, même si elle ne profite pas à tous, fonction éminemment répressive, dit encore l'auteur, non seulement au niveau de la langue, mais au niveau des consciences, "apprentissage du respect des dogmes et du sens de la hiérarchie"(p.281). Je reprends entièrement cette dernière affirmation à mon compte en ce qui concerne l'apprentissage des rapports entre la dénomination masculine et la dénomination féminine : c'est l'apprentissage du respect de la hiérarchie, l'apprentissage du respect de la supériorité du masculin.


      Renforçant mes hypothèses sur le conditionnement réducteur de l'identité féminine, j'ai lu la très intéressante étude de Verena Aebischer intitulée   "Les femmes et le langage. Représentations sociales d'une différence" (PUF 1985), étude en fait plus sociologique que linguistique. Elle présente les résultats d'un test de silhouettes féminisées et masculinisées faisant des gestes identiques deux par deux: quelle qu'ait été la combinaison proposée,  et quel qu'ait été le groupe exécutant le test (des étudiantes ou des étudiants), pour un geste identique la qualification était systématiquement dévalorisante pour les silhouettes féminines, systématiquement valorisante pour les silhouettes masculines. L'expérience établissait l'intériorisation des stéréotypes dévalorisant la femme par toutes les femmes interrogées comme par tous les hommes. Résultat alarmant. Il faut que nous nous demandions clairement quelle est la responsabilité de l'école dans l'infériorisation et la déstructuration de l'image féminine, nous avons vu de quelle manière  le discours scolaire sur le féminin y participait .


      L'étude de Verena Aebischer met en question  l'affirmation de Claude Hagège dans "L'homme de paroles" (1985) selon laquelle les mentalités concernant la place de la femme dans la société auraient changé . Après avoir remarqué que :


     "Une certaine rigidité du français officiel rend douteuse la dérivation de genre dans les noms d'agent à forme de base masculine" (p.268), il déclare:


     " La société française est depuis longtemps engagée sur la voie d'une égalisation des sexes, alors que les formations dérivées sont toujours aussi peu usuelles (sauf, répétons-le, dans les emplois vivants de la langue parlée). (...) La langue n'évolue nullement au rythme des mentalités (...) les pesanteurs de la langue témoignent pour le passé, non pour le présent."(p.269)


     Nous notons que les féminins sont pour Claude Hagège des "formations dérivées" et non des alternances, sur le point de la dénomination féminine il ne semble donc pas que la mentalité de l'auteur lui-même ait évolué mais reste parfaitement traditionnelle et même plus affirmée encore que celle des manuels que nous avons examinés, le test des silhouettes montre que la mentalité générale est toujours conditionnée à dévaloriser ce qui est féminin, et un coup d'oeil à l'actualité économique montre que la femme est encore loin d'être admise sur un pied d'égalité dans le monde du travail, celui où lui sont refusées au féminin les dénominations professionnelles, si l'on en juge par les articles intitulés : "Les handicaps du travail au féminin", "Des professions qui refusent de s'ouvrir aux candidates", "Le triomphe de la précarité, de la flexibilité et du temps partiel" qui pèse principalement sur les femmes, "Les chômeuses ne profitent pas de la reprise de l'activité économique", etc., dans "Le Monde" du 14 Février 1990, aux pages 47 à 50 . Anne-Marie Houdebine rappelait très clairement cet état de choses dans son intervention intitulée "L'une n'est pas l'autre", au Colloque de Nanterre("Genre et langage" décembre 1988). 


     Contestable sur le point des mentalités quant au sexe et au genre, Claude Hagège rappelle cependant par ailleurs à juste titre les évidences suivantes :


     "(...)celui qui possède la langue est investi d'autorité. D'une plus grande autorité que celui qui en a une commande hésitante."(Chap."Les maîtres de paroles" p.203)


     "La langue est un bien politique. (...)L'unité de la langue intéresse le pouvoir (...) la variation l'incommode (...) En ratifiant l'usage dominant , le linguiste, bon gré mal gré, risque de se faire la caution des puissances établies."(p.203)


et plus bas:


     "Si les langues contribuent largement à façonner les démarches intellectuelles, agir sur les premières, c'est agir médiatement sur les secondes, et par conséquent sur les cultures elles-mêmes.(...)Certes, les langues ne sont pas la propriété du linguiste. Mais il a le droit, sinon le devoir, d'exprimer une opinion sur leur destin. (...) En prenant sa place dans l'entreprise réformatrice des langues, le linguiste peut contribuer à engager sur des voies moins incertaines leur avenir et peut-être, en quelque mesure, celui des peuples qu'elles expriment."(p.204)


et quant à l'alternance en genre :


     " (...) rien de linguistique ne s'oppose à une entreprise réformatrice (...) : on a déjà réussi à effacer certaines dissymétries en accréditant "historienne", "avocate", actrice",(...),"étudiante".(...)On peut intervenir sur le lexique, par exemple sur celui des noms féminins d'agent et de profession, mais on ne peut modifier les structures phonologiques et morphosyntaxiques qui donnent à la langue ses propriétés typologiques ." (p.270)


      Sous réserve que, selon moi, il n'y a pas lieu d'"accréditer" telle ou telle dénomination féminine mais de produire sans effarouchements les formes féminines régulières que sont "historienne" ou "étudiante" selon les règles de dédoublement en genre de la langue française tout comme d'autres formes régulières non encore usuelles, pourquoi des réactions si excessives lors des travaux de la Commission de Terminologie du Ministère des Droits de la Femme sur la féminisation des noms de profession, en 1984 ? Quelles sont les "puissances établies" qui auraient senti un pouvoir menacé ? menacé en quoi ?


      Avant de chercher des réponses à ces questions, il faut avoir connaissance des travaux de Claire Michard sur le genre et l'ambiguïté en français contemporain. Nous avons vu comment les normativités grammaticale et lexicographique se conjuguent pour entraver les réalisations de féminins réguliers. Mon analyse du discours lexicographique sur le mot "homme" dans "Les noms de personnes selon le sexe" montre le caractère en même temps forcé,  ambigu et de ce fait contestable de son emploi au sens de "être humain en général". Dans un article intitulé "Les valeurs sémantiques "humain" et "humain mâle" (in "L'ambiguïté et la paraphrase", Centre de Publications de l'Université de Caen 1985, p.135-138), Claire Michard  rappelle que  la prétendue univocité de "homme" et des noms masculins, qui auraient sans équivoque soit "une valeur générique (valant pour la catégorie entière)", soit "une valeur spécifique (valant pour la sous-catégorie mâle)", est "abondamment contredite, tant par la fluctuation des classements d'exemples d'un dictionnaire à l'autre que par un certains nombres d'énoncés courants". Etudiant plus particulièrement le discours scientifique anthropologique ou sociologique, elle analyse les exemples suivants :


     "Le village entier partit le lendemain (...) nous laissant seuls avec les femmes et les enfants"


et " (...) les adolescents des classes populaires veulent quitter l'école et entrer au travail très tôt (...) c'est très important pour s'affirmer vis-à-vis des copains et des filles (...) pour être reconnu comme un homme".


     Dans "le village entier" le sens générique entre en conflit avec le sens spécifique. "Les adolescents des classes populaires"  sont "les adolescents mâles des classes populaires", "autrement dit, les référents mâles sont identifiés à la classe d'âge et les référents femelles au sexe", distorsion sémantique que nous avions également observé dans le traitement lexicographique de "fille"et "garçon" dans le DFC. J'ai rencontré également parmi les plus remarquables l'homme et sa femelle , soit l'humanité et sa femelle, selon l'interprétation accréditée lexicographiquement de "homme", chez René Girard, théoricien du "bouc émissaire" ("Des choses cachées depuis la fondation du monde", chap."Le processus d'hominisation", p.119), ou les morts et leurs femmes chez Philippe Ariès ("L'homme devant la mort" T.2 p.234 ). Les lapsus sont révélateurs du système mental sous-jacent, ou bien, mais le résultat est le même, de la force représentative de la dénomination marquée au masculin, entraînant la représentation mentale humanité = EHM . Nous savons d'autre part que la même opération mentale se produit à propos du genre dans les livres de grammaire: lorsqu'il s'y agit de termes dédoublables en genre, ces termes sont le plus souvent implicitement masculins , comme dans la formule "le féminin des noms". S'appuyant sur l'ensemble de ses recherches, Claire Michard conclut sur ce point en disant :


     "(...) il est fondé d'envisager cette production contradictoire de signification (...) comme le noyau dur de la signification concernant les humains des deux sexes, noyau irrationnel, idéologique, intrinsèque aux rapports de pouvoir construisant les classes sociales de sexe."


         "Noyau irrationnel", en effet : l'universalité masculine au prix de l'incohérence linguistique, que ne remarque pas "la quasi totalité des lecteurs des deux sexes", comme le fait encore remarquer Claire Michard. Ce qui doit ouvrir dans l'enseignement des perspectives de désambiguïsation systématique, si l'on veut que les garçons comme les filles aient une perception équilibrée du monde : nous avons discuté de la valeur du "je" et "tu", toute enseignante, - plus facilement sans doute qu'un enseignant -  une fois sensibilisée, remarquera comme je l'ai constaté moi-même combien de fois il y a lieu d'expliciter ou de corriger la signification des noms communs de personnes masculins dans les textes, il n'échappe à personne l'importance de cette prise de conscience pendant l'enfance, si l'on veut vraiment parvenir à une évolution réelle des mentalités. Il reste à considérer consciemment la crispation sur le masculin premier, masculin dit non marqué, pour sortir de l'irrationnel.     


 
 


 3 / Les travaux de la Commission de Terminologie du Ministère d'Yvette Roudy et les réactions provoquées : la déclaration de l'Académie Française.


       Ces travaux de la Commission , créée en 1984 , présidée par Benoîte Groult , ont été résumés  par Anne-Marie Houdebine qui en était la secrétaire dans "Le français au féminin" (in "La Linguistique" 1987-1).  lls portaient sur des listes de noms de fonctions masculines données par différents ministères et dont je donne  aux  pages 575 - 585   celles que j'ai en ma possession : on voit qu'il s'agit d'une majorité de termes ne posant pas de problème de dédoublement alors que la dénomination officielle dans les titres de nomination à ces postes de la fonction publique restait cependant au masculin :  contrôleur, correcteur, opérateur, receveur, rédacteur... Des problèmes se sont posés à propos de certains titres hiérarchiques et de certains noms de métiers traditionnellement masculins dont nous avons déjà parlé dans notre première partie et sur lesquels nous reviendrons rapidement dans la mise au point générale à laquelle nous parvenons bientôt;  sur le  total de     noms dont je dispose il s'en est rencontré approximativement une vingtaine  , dont ceux que nous avions nous-mêmes repérés dans notre étude morphologique: procureur, proviseur, professeur, chauffeur...


     Anne-Marie Houdebine rappelle dans son article les buts de la Commission, la féminisation de ces  noms de fonctions jusqu'ici masculins dans l'usage des textes officiels  et "d'une manière générale, "de faire des propositions nécessaires pour éviter que la langue française ne soit porteuse de discriminations fondées sur le sexe"(p.18) . Avant d'exposer les principes directeurs, les méthodes de travail et les principaux résultats obtenus par la Commission, elle  rappelle également (p.19) la quantité de "piteux billets,ou articles (...) dans les différents journaux français" qui s'employérent à déconsidérer le travail accompli, allant jusqu'à l'insulte collective des membres de la commission, composée de linguistes, professeurs d'université,  hauts représentants et hautes représentantes d'organismes officiels et privés. Je reprendrai pour ma part l'examen des déclarations de l'Académie Française et de celles de trois académiciens, qui parurent dans la presse et qui pour refuser l'usage du féminin se réfèrent toutes à la théorie du masculin non marqué.


      a) Analyse de la déclaration de l'Académie Française.


     Voici les principales affirmations  de la déclaration de l'Académie Française telle qu'elle fut transmise par "Le Monde" du 20 juin 1984 (p.14, "L'Académie contre Mme Roudy"):


 - une révision du vocabulaire concernant les activités des femmes risque de procéder d'un "contresens sur la notion de genre grammatical"


-car "masculin" et "féminin", "vocables hérités de l'ancienne grammaire, sont impropres (...) le seul moyen satisfaisant de définir les genres du français , eu égard à leur fonctionnement réel, consiste à les distinguer en genres respectivement non marqué et marqué" ;


- le genre dit "masculin" est le genre non marqué comme le montrent les exemples :"Tous les hommes sont mortels" ou "Tous les candidats ont été reçus";


- le genre dit "féminin" est le genre marqué, limitatif, il institue entre les sexes une ségrégation, en conséquence "on devrait recommander que, dans tous les cas non consacrés par l'usage, les termes du genre dit féminin - genre discriminatoire au premier chef - soient évités, et que, chaque fois que le choix reste ouvert, on préfère pour les dénominations professionnelles le genre non marqué";


- enfin "quand on a maladroitement forgé des noms de métiers au féminin, parce qu'on s'imaginait qu'ils manquaient",ils ont été très vite empreints d'une nuance dépréciative : chefesse, doctoresse, poétesse, etc. On peut s'attendre à ce que d'autres créations non moins artificielles subissent le même sort (...) Il paraîtrait plus avisé de laisser à l'usage le soin de modifier."


     Les citations reproduites ici peuvent donner lieu aux remarques suivantes:


- Le choix de "Tous les hommes sont mortels" et "Tous les candidats ont été reçus" montre le besoin de renforcement de l'idée que l'Académie s'emploie à promouvoir par l'utilisation du renforçateur "tous" s'appliquant non pas à un "masculin", mais à un masculin pluriel. La signification de "le candidat" ou "un homme" est écartée du champ de réflexion. Les exemples proposés comme illustration sont des exemples orientés, tout comme les exemples de formes féminines frappées de péjoration, toutes prises dans la seule catégorie que nous avons vue limitée à moins de 50 noms sur 5000 , celle des féminins dérivés, à suffixe -esse.


- L'opération consistant à opposer un féminin limitatif à un masculin universel correspond au système de pensée observé dans le discours lexicographique où l'EHF est marqué par le sexe et relatif à l'EHM (femme = épouse), l'EHM présenté comme être humain complet .


- C'est également présenter le féminin comme entaché de ce défaut d'être limitatif, alors qu'on peut présenter le même trait comme un avantage, celui d'être univoque, de ne pas prêter à confusion.


- Ce qui conduit à remarquer, comme l'ont fait certains journalistes, que l'Académie cautionne ainsi la thèse selon laquelle l'EHM n'a pas de dénomination propre en français. Il est question d'EHM+EHF ou d'EH abstraits, puis d'EHF, il n'est pas parlé d'EHM, celui-ci n'aurait qu'une dénomination asexuée. C'est en tout cas l'interprétation qu'autorise le silence complet sur la question.


- Ce même silence sur l'ambiguïté inhérente à un genre "non marqué" évacue complètement le fait que cette ambiguïté est préjudiciable aux femmes seules, non prises en compte par le discours généralisant comme quantités négligeables ou accessoires, comme le montrent "Les droits de l'Homme et du Citoyen" de 1789, le suffrage "universel" de 1848, tout comme "le village entier" vu plus haut ou l'homme préhistorique et "sa femelle", ou un trop grand nombre encore d'offres d'emplois dans la catégorie des cadres.


- Il est surprenant que l'Académie gardienne de la pureté de la langue garde également  le silence sur les conséquences syntaxiques  de la dénomination de la femme par un terme masculin ("Le docteur Martine Durand est absent, il ..." ou "Le docteur est absente, elle...").


- Les déclarations de l'Académie sont objectivées, malgré les exemples orientés, par la référence à une théorie linguistique , celle du masculin non marqué,  que je conteste et que je discuterai au fond dans un instant, mais qui existe et sert de référence aux ouvrages scolaires actuels. Elles  laissent cependant paraître la volonté polémique qui les anime : on le voit avec la mise en relief de "genre féminin - genre discriminatoire au premier chef" en réplique à la formulation de la Commission "éviter que la langue française ne soit porteuse de discriminations fondées sur le sexe" ; et on le voit  à l'utilisation d'une argumentation contradictoire puisqu'après avoir recommandé " que, dans tous les cas non consacrés par l'usage, les termes du genre dit féminin (...) soient évités", l'Académie considère "plus avisé de laisser à l'usage le soin " des modifications éventuelles. On barre la route à l'usage du terme féminin tout en déclarant  attendre que l'usage introduise d'éventuelles formes féminines.


      On se rappelle Dominique Bouhours rejetant "tentatrice", "dominatrice", etc., parce que "on ne fait pas de ces féminins-là autant qu'on veut, et il n'est permis d'employer que ceux que l'usage a autorisés". Rejoignant Anne-Marie Houdebine nous dirons aussi : "Conservatisme social et linguistique vont de pair" ("Le français au féminin" p.24), un conservatisme aux dimensions séculaires. Il est le corollaire du silence sur les problèmes linguistiques et sociologiques posés et la négation implicite du problème philosophique de l'identité humaine.  La volonté polémique transparaît assez pour que "Le Monde" dans son introduction présente l'Académie comme "part(ant) en guerre contre la féminisation des titres et des fonctions". Hors de toute polémique, ce qu'il convient de se demander c'est pourquoi une assemblée composée de personnalités reconnues internationalement comme une élite intellectuelle entreprend de partir ainsi  "en guerre" contre la dénomination féminine sans aucune considération autre que l'exclusion de cette dénomination. Et nous commençons à avoir rassemblé un certain nombre d'indices tous convergents montrant sur un plan psychosociologique la crispation sans aucune considération logique sur la nécessité de maintenir le féminin inférieur, à tout prix. Du bas en haut des âges et de la société, de l'école à l'Académie, se reproduisent les contradictions et les non-dits : le non-dit sur la dénomination masculine  que nous avons relevé ici devient de ce fait un élément significatif rejoignant l'incertitude fondamentale sur ce qu'est l'identité masculine qu'il est possible de déduire du discours lexicographique rappelé plus haut tout comme de l'acharnement à présenter le terme masculin comme seul doté d'un statut linguistique plein dans les dictionnaires comme dans les grammaires. Cette incertitude ou anxiété refoulée générant un réflexe offensif contre ce qui n'est pas masculin, entretenu par un conditionnement maintenu avec vigilance. Le réflexe offensif, face active du phénomène sociolinguistique, conduit à chercher à vaincre, réduire, l'ennemi que l'on craint ; la face passive du même phénomène est la crainte pure et simple de ce même féminin, que l'on observe en particulier chez un certain nombre de femmes conditionnées à le considérer comme réduit, inférieur, et le refusant donc comme dénomination personnelle désambiguïsant leur identité sexuelle, comme l'a montré un certain nombre d'interviews de personnalités féminines et de réactions de lectrices dans la presse de l'époque.


          Les académiciens qui ont soutenu la position de l'Académie dans la presse illustrent la face active du phénomène comme le montrent les armes verbales qu'ils ont utilisées. Nous allons voir qu'il s'agit pour l'essentiel non d'arguments linguistiques mais d'attaques qui révèlent le caractère passionnel du débat.


    b) La position d'Alain Peyrefitte.


    Le plus modéré a été  Alain Peyrefitte dans le Figaro du 23 juin 1984. Il débute en réfutant l'opportunité de la création de la Commission puisque, depuis Louis XIII, en ce qui concerne la perfection de la langue française, c'est à l'Académie qu'appartient "le soin exclusif d'y veiller" ; l'initiative du gouvernement créant la Commission en question peut laisser supposer l'intention "de l'étouffement de l'Académie". Le deuxième point traite de l'opportunité de l'emploi de la dénomination féminine : "C'est oublier qu'en français, le masculin joue le même rôle que le neutre dans d'autres langues", affirmation suivie de la déclaration in extenso de l'Académie Française s'appuyant sur la théorie du genre "non marqué". La conclusion commence ainsi:


     "Qu'il s'agisse d'institutions auxquelles on conteste soudain une mission dont elles se sont toujours prafaitement acquittées, ou simplement des emplois du genre grammatical, les princes qui nous gouvernent semblent justifier , aussi bien dans ce cas que dans tant d'autres,  le terme d'apprentis-sorciers", et se termine sur une citation de Descartes:


     "Nous ne voyons point que l'on jette à terre toutes les maisons d'une ville pour le seul dessein de les refaire d'autre façon et d'en rendre les rues plus belles...A l'exemple de quoi je me persuadai qu'il n'y aurait véritablement pas d'apparence qu'un particulier fît dessein de réformer un Etat en y changeant tout dès les fondements et en le renversant pour le redresser."


         Nous retiendrons encore dans le cours de l'article la phrase commençant par "Une député socialiste ayant obtenu une réponse (...)à une question qu'elle avait posée..." pour faire d'abord deux remarques d'ordre linguistique.


- Premièrement qu'à l'intérieur d'un discours s'employant à refuser l'usage du féminin pour la dénomination de la femme, Alain Peyrefitte écrit "une député" : inadvertance ou production naturelle et passée de ce fait inaperçue d'un terme farouchement maintenu au masculin dans tous les dictionnnaires, et cela juste avant la démonstration du caractère "neutre" du masculin ? Il est vrai que le féminin ne marque que le déterminant et pas le nom . Considérons alors que l'Académie préconise "la député" en question, c'est-à-dire l'utilisation du déterminant féminin sans variation du nom lui-même, ce qui règle la question de la substitution pronominale qui suit et qui redevient correcte ("une député... elle..."). Quelle qu'ait été l'intention de l'auteur, nous avons ici sous la plume d'un académicien l'illustration de la nécessité en français de la désambiguïsation du discours par la dénomination féminine.


- Deuxièmement, pour soutenir la théorie du "genre non marqué" sur laquelle s'appuie la déclaration de l'Académie qui suit, l'argument qui fait d'un trait du masculin un neutre a de quoi surprendre par son caractère catégorique, faut-il dire hâtif ? A ma connaissance aucun ouvrage linguistique n'a encore réglé de manière aussi définitive la question, y compris le texte de Jean Dubois sur le masculin genre non marqué.


      Ne relevant plus de la linguistique mais de près ou de loin de psychosociologie, voici trois autres remarques :


- L'une, c'est que l'Académie proteste à l'occasion de la création de la seule Commission en question alors que de très nombreuses autres Commissions de Terminologie s'occupant de créations de véritables néologismes, dans le vocabulaire de la technique, comme "logiciel", ainsi que le rappelait Benoîte Groult dans sa réponse ("Le Monde" du 17 juillet 1984), n'avaient fait l'objet d'aucune contestation jusque là.


- L'autre, que le caractère polémique et donc agressif de la réaction apparaît dans le procédé stylistique de l'exagération employé pour supposer que  la création de la Commission est capable de produire "l'étouffement de l'Académie". A moins que celle-ci ne se sente à ce point vulnérable et qu'il faille prendre l'expression de cette crainte au pied de la lettre.


- Enfin, dans la crainte de catastrophes déclenchées par des "apprentis-sorciers" prétendant s'occuper du féminin nous voyons Alain Peyrefitte associer dans sa conclusion la question de la dénomination féminine et celle des "fondements" de l'"Etat" qui risque d'être renversé par de telles menées . Sa conclusion illustre de manière très éclairante  nos propres observations sur l'idéologie sous-jacente du discours sur le genre entravant la réalisation de la dénomination féminine en même temps que  le refoulement dans l'inconscient d'une angoisse dont la manifestation extérieure est la considération que ce qui est féminin doit être contenu, enfermé. La démesure des conclusions de l'article met en évidence ce que nous avons repéré tout au long de notre étude, le caractère androcratique de l'"Etat", ailleurs la Grammaire, ici l'Académie, qui régente le discours sur le genre, en même temps que l'irrationalité des réactions passionnelles que déclenche sa mise en question. Nous pouvons  mettre en parallèle la question des "fondements" de l'Etat avec celle du masculin "base" qui sous-tend le discours grammatical que nous avons étudié.


     c) La position de Jean Dutourd.


     Les mêmes confirmations de nos théories se retrouvent dans l'article de Jean Dutourd dans "France-Soir Magazine" du même 23 juin 1984, avec pour principale différence l'utilisation comme procédé stylistique répété celui de la généralisation injurieuse combinée avec l'amalgame entre la polémique politique - sensible également chez Alain Peyrefitte  mais sur un autre registre - et la question de la dénomination féminine. Le caractère passionnel du problème  est particulièrement illustré  dans les passages suivants:


     "(...)Ce n'est pas par décrets gouvernementaux que les choses s'améliorent. Au contraire : tout ce qui vient des savants, des techniciens, des politiques, des porteurs de diplômes est mauvais. Ces gens-là ne fabriquent que des monstruosités(...)"


     "(...)Ces gens du pouvoir ne doutent de rien ! Que savent-ils des lacunes de la langue française, eux qui connaissent à peine cinq cents mots (...)"


     "Ce qui trompe les analphabètes (et entre autres ceux qui nous gouvernent), c'est que l'on dit d'un mot qu'il est du genre "masculin" ou du genre "féminin"(...)"


     "A ce point de vue, l'une des manies les plus ridicules des hommes politiques, lorsqu'ils haranguent le peuple, et de s'écrier: "Françaises, Français"(...)"


     Il n'est évidemment pas vraiment possible de parler d'objectivité sur ce terrain, et quelles qu'aient pu éventuellememnt être les qualités de la déclaration de l'Académie dont suivent des extraits, elles perdent beaucoup de leur pouvoir  de persuasion du fait du contexte. Mais de plus, tout comme précédemment, dans le texte de Alain Peyrefitte où se rencontre "une député", nous retrouvons l'illustration linguistique de la nécessité de la dénomination féminine dans un discours désambiguïsé. Une nouvelle fois on peut juger heureux pour notre thèse l'exemple fourni par un académicien, même si on le relève dans le domaine de l'invective, tel qu'il figure dans le mot de la fin de l'auteur (je souligne) :


     "Quel dommage que, parmi les propositions du projet socialiste où il est tant question du peuple, il n'en existe aucune rendant à celui-ci justement cette fonction de fabriquer des mots qu'il a si bien remplie pendant tant de siècles et que LES ANES SAVANTS ont usurpé depuis une trentaine d'années. LES ANES ET LES ANESSES."


     d) La position de Georges Dumézil.  


     J'ai ressenti beaucoup plus péniblement l'intervention de Georges Dumézil dans le Nouvel Observateur du 7 septembre 1984, en ce qu'un scientifique de sa dimension, que nous regrettons tous, juge opportun de s'armer de la plume du pamphlétaire pour guerroyer contre la dénomination féminine française. Avec une érudition et une habileté qui ne surprennent pas, il parvient sur le ton du badinage à occulter le fond du problème sans éviter cependant les manifestations que nous avons repérées plus haut . Il convient de remarquer avant de continuer que la moquerie, lorsque ce n'est pas le sarcasme, est l'un des  procédés traditionnels d'infériorisation de la femme et que peut-être il est permis d'attendre aujourd'hui des scientifiques que lorsqu'ils considèrent la femme, ou ici sa dénomination, ils se placent sur un autre terrain. Après avoir longuement et avec pertinence développé la question du genre des noms de choses et d'idées, mais est-ce le sujet en question ? Georges Dumézil pour sa part utilise cette tactique traditionnelle avec à l'occasion une leste en même temps que fine gaillardise :


     "Dans les vingt ou vingt-cinq dernières années, j'ai vu naître, devançant la commission, un petit nombre de féminins auxquels on ne pensait pas et dont on ne peut plus se passer. Ainsi l'admirable substantif "conne".(...) Ce féminin sonore, qui s'élance du fond de la gorge alors que son masculin fait un étrange détour par le nez, rappelle opportunément que la maladresse n'est pas le monopole des pénipotents."


     Les "pénipotents" sont associés avec humour aux susnommées.  Mais si l'on fait le décompte des noms féminins admis dans l'article par l'auteur, le substantif en question est en fait la seule dénomination féminine autonome qui ait été retenue, et avec enthousiasme. L'esprit de l'article rejoint sur le plan du vocabulaire affectif celui que nous avons étudié plus haut, illustrant à nouveau le caractère passionnel du débat.


     On remarque d'autre part à deux reprises la désambiguïsation du discours par l'emploi de marques féminines, mais ici avec habileté  sous le masque du badinage :


     "Le hic est que ces possibles n'ont pas été utilisés par des générations d'écrivain(e)s"


et :


     "C'est très bien de restituer une désinence de son sexe à la députée".


Sans doute l'auteur badine-t-il, mais son badinage lui a permis d'éviter de pesantes périphrases.


     En ce qui concerne le fond du problème, dans sa défense de la position de l'Académie, les difficultés sont esquivées tout comme dans  la déclaration de l'Académie proprement dite :


- Les exemples à l'appui de la thèse du masculin non marqué sont tous au pluriel: "les habitants de Paris", "La vie des paysans au Moyen Age", "mes proches parents" ; tout nom de personne au singulier utilisé dans le développement du raisonnement est en revanche désambiguïsé par un marqueur sexuel : "femme professeur", "femme médecin","homme grenouille", "danseuse", "Mme le Recteur", "la maréchale", "Madame de Noailles (...)un poète" (marqueurs : femme, homme, -euse, Mme, la et -e, Madame). Aucun exemple de masculin singulier sans désambiguïsation contextuelle  n'est utilisé dans le raisonnement. 


- En dépit de cette lacune, l'auteur affirme par généralisation à propos de couples comme danseur-danseuse que :


     "Ce jumelage ne répond pas à un besoin essentiel de l'esprit, à une exigence telle qu'il faille, en toute occasion, mécaniquement, que la distinction des sexes soit exprimée" sans illustrer par quelque exemple singulier que ce soit cette affirmation.


- A l'objection selon laquelle "Mme le Ministre" est un solécisme sa réponse est :


     "Peu importe, puisque l'expression est courante", sans que soit explicitée la question de l'accord avec l'adjectif ou de la pronominalisation (?"Madame le Ministre est absente, elle...", ?"Le docteur Durand est sorti, elle...") . Au contraire, cette question est  esquivée par la construction habile, un peu plus loin , de :


    "Mme de Noailles n'est pas UN de nos plus grands poètes, mais ELLE a , dans quelques poèmes, plus que du talent".


- Se demandant si, la féminisation systématique étant acquise, il restera possible de dire "Dans ma classe, les garçons et les filles sont également forts ...", l'auteur amalgame le problème de la dénomination féminine avec celui de l'accord de l'adjectif, ici un masculin de toute manière prudemment séparé du nom féminin  dans une construction attributive, tout comme le masculin "un poète" de la phrase précédente.


     Il est possible de reprendre point par point les déclarations de Georges Dumézil, chacune d'elles étant susceptible d'une remise en question. Nous arrêterons cependant ici cette analyse où nous avons déjà repéré:


- un raisonnement construit sur des données incomplètes ,


- le procédé de la  généralisation ("le jumelage...pas un besoin essentiel") dont la justification n'apparaît pas autrement que par l'affirmation pure et simple,    


- le traitement des problèmes syntaxiques par leur négation, un choix d'exemples partialement restreints,l'amalgame ou le silence.


     On peut ramasser en trois points principaux le point de vue sur la dénomination féminine et la nécessité de l'emploi de noms communs féminins. Cette dénomination est :


- inutile ("Femme professeur", "femme médecin" suffisent, quand il y a vraiment lieu de préciser, ce qui est rare",        répété plus loin : "Femme auteur" suffit dans les cas très spéciaux où la précision est requise" - les exemples retenus étant de plus à nouveau choisis uniquement parmi les rares termes présentant des problèmes morphologiques de dédoublement),


- "admirable" dans l'insulte,


- "pas autre chose" que la désignation des "conjointes de leurs maris": "la maréchale", "la préfète".


     Nous avons donc à nouveau ici l'illustration du caractère non rationnel que peut avoir le discours sur le genre. Un point intéressant est la métaphore  utilisée par l'auteur pour blâmer le travail entrepris par la Commission :     "La faute première, dans ce débat et dans beaucoup d'autres, consiste à traiter le langage comme un jardin, passible des tondeuses, des sécateurs, des tuteurs, alors qu'il est une forêt."


     Peut-être en effet le langage est-il "une forêt", mais quelle est ici la question ? Elle est : "Peut-on ajouter des féminins dans l'usage ?", c'est-à-dire apporter un plus. Le féminin est d'autre part une forme considérée traditionnellemt comme comportant une addition par rapport au masculin, le -e, la "marque" en "plus" de la théorie du masculin non marqué précisément utilisée par l'Académie. On ne comprend donc pas le rôle des "tondeuses", des "sécateurs" . Que coupe-t-on en ajoutant des féminins ? le renversement imaginaire opéré par l'auteur est pour le moins troublant.Formulons ce qu'il suggère: en quoi  nommer la femme  au féminin  dans ses activités professionnelles est-il une castration ? De qui et pourquoi ? Anne-Marie Houdebine ("Le français au féminin" p.27) notait en même temps la volonté de l'Académie d'accuser la Commission de sexisme ("le féminin - genre discriminatoire") Constatons que si la métaphore de Georges Dumézil se veut consciemment accusatrice en ce sens, elle est en tout cas radicalement fausse quant aux éléments comparés : addition de termes dans l'usage versus élagage de la "forêt", l'addition est le contraire d'un élagage. Nous retiendrons le paradoxe du sécateur : ce sont celles que l'on coupe qui sont accusées de couper les autres.  


 


 


    Nous pouvons maintenant  déclarer que quelle que soit la réputation des personnes qui ont entrepris la contestation systématique des dénominations féminines nouvelles dans l'usage, leur discours ne peut être retenu comme tendant à l'objectivité. Il m'apparaît en tout cas clairement que ce sont des motivations extra-linguistiques qui sont les motrices de cette défense à tout prix du masculin. Est-il si faible qu'il ait besoin d'être aussi agressivement défendu ? Il est évident que non. Mais en effet, il est affaibli par la distorsion à laquelle le soumet la doctrine du masculin premier, laquelle rend nécessaire la révision de tout le discours grammatical, lexicologique et lexicographique sur le genre . Entreprise d'envergure nécessitant des travaux d'équipes importants. Nous essayerons cependant , compte tenu des observations réalisées jusqu'ici, de proposer un sens aux révisions indispensables. Mais auparavant, puisque jusqu'ici nous nous sommes heurtés sans cesse aux illogismes qu'entraîne l'utilisation mal maîtrisée de la théorie du masculin non marqué, tant dans les grammaires scolaires que dans les discours académiques, il nous faut pour terminer tenter d'analyser le plus clairement possible la manière dont elle est exposée dans la "Grammaire Structurale" de Jean Dubois.